Voici la traduction du livret de Faith remasterisé.Le 9 septembre 1980, The Cure commença les répétitions pour leur 3ème album, encore sans titre.
Le quatuor qui avait enregistré son prédécesseur,
Seventeen Seconds, était désormais réduit à un trio suite au départ quelques jours plus tôt du claviériste Matthieu Hartley, au terme d’une tournée australienne sans joie.
« Quelque chose avait changé, se souvient Robert Smith, Matthieu semblait ne pas y trouver le même plaisir. Tout était difficile, tout était excessif… et nous, de notre côté, cela nous rendait fous.
Entre le 27 et le 29 septembre, il y eut une tentative avortée de faire les démos de certaines chansons dans le cadre familier des Studios Morgan de Londres mais cela ne mena pas à grand-chose. « Nous pensions que Primary était la première chanson « finie » de l’album, fait remarquer Smith, mais cette première démo était loin d’être bonne. Nous avons fait ça, All Cats Are Grey, The Holy Hour, mais pour une raison ou pour une autre, ces versions étaient ternes. Nous voulions que les chansons soient lugubres et passionnées mais cela n’était tout simplement pas le cas. »
Bien que n’ayant pas de titre, l’album avait avait un thème central ; il s’agissait d’un ensemble de chansons explorant l’idée de croyance. « Je m’interrogeais sur le fait que lorsqu’on est enfant, on est souvent endoctriné et poussé à croire en quelque chose « d’autre ». Je voulais explorer diverses manifestations de cette confiance afin de comprendre d’où les gens la tenaient et de découvrir s’il s’agissait de quelque chose de vrai pour moi. »
Alors que la fin de l’année approchait, ce thème occupait l’esprit de Smith au plus haut degré mais restait dans une large mesure à l’état de soif intellectuelle de compréhension.
Cependant, lorsque le groupe retourna dans les studios Morgan le 2 février 1981, c’était devenu quelque chose de plus profondément inquiétant. Dans les semaines qui venaient de s’écouler, plusieurs amis et parents étaient morts et la mère du batteur, Lol Tolhurst, avait été diagnostiquée en phase terminale.
« Durant cette période, où que je me trouvais, je me rendais à l’église locale parce que
je voulais préserver le sentiment d’un lien » se souvient Robert. « Je viens d’un milieu religieux et je voulais ressentir tout ce que les autres ressentaient. Je voulais quelque chose en quoi je puisse croire. »
En observant les fidèles autour de lui, Smith commença à structurer ses idées de façon plus cohérente et à les mettre par écrit sous forme de paroles. « J’ai fini par comprendre que si les gens allaient à l’église c’était, par-dessus tout, parce qu’ils croyaient en une « éternité » personnelle. J’ai commencé à réaliser que je ne croyais pas du tout à cette éternité et j’ai eu peur. Le jour où j’ai écrit les paroles de Faith, j’ai su que je tenais la chanson titre. »
Malheureusement, bien que ce qui devait être l’essence de l’album s’était maintenant cristallisé dans son esprit, les sessions de février ne se passaient pas bien pour des raisons qui, pour certaines d’entre-elles, étaient d’ordre chimique.
« Pendant la conception de
Seventeen Seconds, nous avions expérimenté un certain nombre de drogues diverses mais, à l’époque de
Faith, l’abus de substances était devenu un facteur de la dynamique de travail », explique Smith. « Cela avait commencé à ralentir les choses. Drogues égoïstes…elles commençaient à réclamer leur dû. »
Les studios Morgan avaient été réservés pour les deux premières semaines du mois, un temps que Robert considérait comme suffisant pour terminer l’album. Le fait qu’ils allaient de nouveau travailler avec
l’ingénieur-producteur Mike Hedges, qui avait pris tant de part à la réalisation de leurs deux premiers albums, donnait à Smith une bonne raison d’être optimiste pour les sessions.
« C’était quelqu’un d’important, estime Smith, pas seulement pour trouver les sons, mais
en tant que personne dont la présence avait du sens, avec qui nous étions sur la même longueur d’ondes et qui comprenait ce que nous essayions de faire. Il avait également un sens de l’humour très noir qui aida beaucoup ! Il était d’une grande générosité pour ce qui était de son temps et de ses connaissances, heureux d’expliquer ce qu’il faisait et comment il le faisait. Pendant ces sessions j’ai beaucoup appris de Hedges sur ce qu’est un enregistrement. »
Pourtant, pendant les deux semaines qu’il s’était accordées, le groupe ne parvint même pas à terminer six chansons. « Nous nous sommes retrouvés à faire et refaire les choses encore et encore. Rien n’était satisfaisant, alors nous avons dû nous procurer plus de temps de studio : deux jours dans un studio, deux jours dans un autre, et beaucoup de temps passé à monter le matériel et à le démonter à nouveau. »
En plus d’abuser de « drogues égoïstes », le groupe buvait aussi de façon excessive. A cette époque, je commençais à avoir le sentiment très fort d’une fracture. Je me revois alors que j’essayais d’interpréter The Drowning Man, attendant que le chant commence et oubliant que c’était moi le chanteur… »
Alors qu’il se trouvait au cœur de cette confusion, Robert Smith dû, au même moment, faire face tant bien que mal aux humeurs les plus tristes et les plus noires de sa vie ainsi qu’au constat, de plus en plus évident, que les sessions étaient presque insupportables parce que, paradoxalement, elles étaient presque supportables. « C’était un petit peu comme si nous nous « amusions » trop dans le studio, dit-il, et cela me contrariait. »
Il est maintenant impossible de démêler tous les fils qui se sont entrelacés pour créer
Faith, mais il en résulta une musique à l’intensité poignante, claustrophobique et pleine d’émotion, qui ne ressemblait à rien de ce qui avait été enregistré auparavant.
A l’heure actuelle, Smith attribue une grande partie de la cohérence de l’album à l’influence de Mike Hedges. « Il a vraiment réussi à former une unité, mais je pense avec le recul que les cahots de la session ébranlèrent notre relation. »
Sur un front plus pratique, les choses devenaient également difficiles. « Nous manquions d’argent et nous avons dû
emprunter un supplément à notre maison de disque pour pouvoir continuer à enregistrer, ce qui signifiait une plus grande implication de Chris Parry lui-même… »
Chris Parry était le propriétaire de Fiction records et, bien qu’il ait donné à The Cure leur véritable envol en les signant, travailler avec lui sur le premier album s’était révélé frustrant ; de fait, il avait été exclu du studio. Parry a bien décrit la situation dans laquelle il se trouvait désormais lui aussi : « les drogues arrivaient, les demandes aussi, et les paroles étaient rédigées à même le sol du studio… Je voyais bien qu’ils ne pouvaient pas continuer comme cela. »
Smith ne sombra jamais si bas qu’il ne puisse plus être capable de voir comment mener à terme son projet, mais les choses allaient assez mal. « Je me suis brisé de fatigue à essayer de finir l’album. Je me revois en train de terminer le chant à Abbey Road et me sentir, simplement, incroyablement vide… Mais à peine quelques jours après, j’ai su que nous étions parvenus assez près de l’endroit où je voulais nous emmener. »
Faith sortit en Angleterre le 11 avril 1981 pour entrer deux semaines plus tard dans les classements à la 14ème place, son sommet et la meilleure place d’un album du groupe jusqu’ici. « Aujourd’hui, avec le recul, dit Smith, j’aime l’album et cela malgré le fait qu’à l’époque je n’étais vraiment pas sûr que nous l’ayons entièrement réussi. Il n’était peut-être pas aussi extrême que ce que j’aurais souhaité,
comme si nous avions reculé un peu trop tôt devant la lame d'un couteau.
Ce que fit majoritairement la presse. Record Mirror fustigea ses « errances inconsistantes ». Le NME se plaignit qu’il ne disait « absolument rien de significatif d’une façon passablement déprimante ». John Gill, du Sounds, fut pratiquement le seul à faire remarquer que, pour ceux qui se souciaient d’aller au-delà de la surface des choses,
Faith portait un message de « croyance et d’esprit profonds ».
Mais Robert Smith n’écoutait pas les autres ; il était, de façon évidente, un homme en mission.
Faith était un voyage profondément intime au cœur des thèmes de la confiance et de la trahison, du désir et du désespoir. Dans la mesure où cela le tourmentait de penser que le résultat de ce voyage musical, passionné et spirituel, n’était pas suffisamment ample, n’était pas suffisamment extrême ou sombre, alors il se rendit compte qu’il ne lui restait plus qu’une chose à faire…
Johnny Black
(Comme pour la traduction du livret de Seventeen Seconds, j'ai mis en italiques les passages qui m'ont posé le plus de problèmes. Les suggestions d'améliorations sont les bienvenues...)