Killing an Arab

Killing an Arab (1978)


LES CYMBALES DU SOLEIL


Au commencement était le meurtre.

C’est à la fin de la première partie de L’Etranger (qui en comprend deux) que se trouve la scène du meurtre de l’Arabe, véritable point de bascule du roman de Camus. Ce meurtre sans mobile, ce geste tout à la fois improbable et inéluctable, aura marqué les esprits au point que ses effets se font encore sentir sur des œuvres récentes. Le lieu où se déroule cette scène (un rivage aux lignes indéfinies) ainsi que son intemporalité lui confèrent une aura mythique et

« c’est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant que tout a commencé ».

Mais, plus que la simple relation d’un meurtre, cette scène est le récit d’un rapport au monde, d’une inadéquation au monde. Ce qui frappe à la relecture de ce passage, tout autant que sa tonalité « absurde », c’est sa force hallucinatoire. En effet, on met peu de temps à se rendre compte que ce n’est pas sur une plage de la banlieue d’Alger que se déroule cette scène mais dans la tête de Meursault, parmi les visions déformées d’un être débordé par la puissance stupéfiante de son environnement. Et c’est l’écho de ces distorsions que l’on entend dans Killing an Arab.

Des notes de basse qui chutent le long d’une spirale en mimant le vertige des sens avant de former comme le bourdonnement pulsatif d’un afflux de sang brûlant dans les veines ; des notes de guitare qui se perdent et s’attardent, au risque de ne plus revenir, de l’autre côté de ce miroir glacial que sont les yeux morts du corps de l’Arabe étendu sur la plage. Quant au chant, bien que l’on y entende la hargne punk se mêler à la révolte finale de Meursault, il porte lui aussi la marque de sa traversée du monde des morts : après le coup de feu et l’impression glacée laissée par le regard sans vie, une voix spectrale (qui trouvera sa pleine expression avec Faith) double le chant à la manière d’une forme vague et furtive venue du pays des ombres.

Mais Killing an Arab possède encore une « bizarrerie » rare. Cette chanson, en effet, a la particularité de s’ouvrir par une courte introduction clairement détachée du reste du morceau. On y entend trois coups de cymbales aux résonances tragiques qui sont comme les trois coups frappés au théâtre pour nous préparer à la levée du rideau. Ils constituent une sorte de procédé magique signalant qu’il est temps d’oublier le monde réel et les règles qui le régissent : des coups de cymbales comme trois pas de trop dans le sable d’une plage chauffée à blanc ou comme trois coups de feu au ralenti dans le lointain d’une conscience étouffée.

« C’était le même soleil que le jour où j’avais enterré maman et, comme alors, le front surtout me faisait mal et toutes ses veines battaient ensemble sous la peau. A cause de cette brûlure que je ne pouvais plus supporter, j’ai fait un mouvement en avant. Je savais que c’était stupide, que je ne me débarrasserais pas du soleil en me déplaçant d’un pas. Mais j’ai fait un pas, un seul pas en avant. Et cette fois, sans se soulever, l’Arabe a tiré son couteau qu’il m’a présenté dans le soleil. La lumière a giclé sur l’acier et c’était comme une longue lame étincelante qui m’atteignait au front. Au même instant, la sueur amassée dans mes sourcils a coulé d’un coup sur les paupières et les a recouvertes d’un voile tiède et épais. Mes yeux étaient aveuglés derrière ce rideau de larmes et de sel. Je ne sentais plus que les cymbales du soleil sur mon front et, indistinctement, le glaive éclatant jailli du couteau toujours en face de moi. »


La musique d’un artiste en dit souvent long sur la façon dont il a écouté d’autres musiques.
La nouveauté de Killing an Arab est celle d’une chanson qui a su entendre la musique d’un livre.



Merci à Kotyk et Amulbu de m'avoir amicalement suggéré de poster sur Free Curist cette chronique qui l'avait déjà été sur le très complet forum-site The Fear of ghosts ( http://ftfog.nuxit.net/cure/phpBB2/index.php ).

J'ajouterai prochainement, par groupe de deux (pour que cela ne soit pas trop indigeste ), les chroniques concernant l'album The Cure.

merci Imagho, tes reviews sont toujours

Des encouragements venant de la oldest (but simooonest) et du youngest (but bidomanest) fan de Cure !

La semaine ne pouvait pas mieux commencer !

bon, ben faut un juste milieu, alors un fan du ventre mou curiste (au sens propre comme figuré pour les fans de cet age là... ) t'adresse a son tour un énième remerciement pour cette review, une fois encore excellente.

un grand merci pistolero
oui-da
longue vie sur tes récoltes !

Merci à tous les deux

Encore Merci Imagho

j'aime bcp ce que tu as écrit Imagho -> "La musique d’un artiste en dit souvent long sur la façon dont il a écouté d’autres musiques.
La nouveauté de Killing an Arab est celle d’une chanson qui a su entendre la musique d’un livre."

je trouve qu'elle résume très bien le dessus !
Killing an Arab est géniale en Live ! c'est là qu'on sent toute sont intensité !

Merci Gallup de remonter ces posts superbes relectures matinales

amulbu a écrit:

Merci Gallup de remonter ces posts superbes relectures matinales

çà fait au moins une heureuse !!

Oui

Je ressors ce topic juste parce que en ce moment je lis pas mal de bouquins (qu'il faut lire pour sa culture générale )

J'ai lu (enfin) l'étranger de Camus, j'ai bien aimé, et puis forcément çà m'a rappelé killing an Arab.
Cependant j'ai encore du mal à comprendre la personnalité du personnage.
On dirait qu'il n'a pas de but dans la vie, il se laisse vivre, n'a pas d'avis, cache ses sentiments... Y a t-il un lien étroit entre sa naiveté et le crime qu'il a commis?
quelqu'un pourrait il plus m'éclairer...? J'ai du mal à trouver le but de l'histoire ?

Gallup a écrit:

Je ressors ce topic juste parce que en ce moment je lis pas mal de bouquins (qu'il faut lire pour sa culture générale )

J'ai lu (enfin) l'étranger de Camus, j'ai bien aimé, et puis forcément çà m'a rappelé killing an Arab.
Cependant j'ai encore du mal à comprendre la personnalité du personnage.
On dirait qu'il n'a pas de but dans la vie, il se laisse vivre, n'a pas d'avis, cache ses sentiments... Y a t-il un lien étroit entre sa naiveté et le crime qu'il a commis?
quelqu'un pourrait il plus m'éclairer...? J'ai du mal à trouver le but de l'histoire ?

Je crois que pour Camus la fin du livre était très importante puisque Meursault y vivait une sorte de "réveil", de prise de conscience. Mais il me semble que ce qui marque le plus dans ce livre, et qui est le plus réussi, c'est la fameuse impression que Meursault est étranger à la vie. Ce livre peut faire des ravages, il peut donner le sentiment que la vie n'a pas d'importance et qu'elle ne vaut pas la peine d'être vécu. Alors que c'est précisément le contraire que Camus a souhaité dire... Je l'avais lu pour la première fois quand j'avais 17 ans, conseillé par un certain R.S. Et j'ai encore du mal à me remettre de cette lecture !
J'essaierai de m'y replonger un peu pour revoir ce que l'"absurde" signifie précisément chez Camus et tenter d'être un peu plus clair.

imagho a écrit:

il peut donner le sentiment que la vie n'a pas d'importance et qu'elle ne vaut pas la peine d'être vécu. Alors que c'est précisément le contraire que Camus a souhaité dire... Je l'avais lu pour la première fois quand j'avais 17 ans, conseillé par un certain R.S. Et j'ai encore du mal à me remettre de cette lecture !

C'est marrant, c'est justement l'âge que j'ai. Et c'est vrai que c'est le sentiment que j'ai eu lorsque je l'ai terminé. Que la vie était peut être pas grand chose qu'on se battait finalement pour peu...après tout, on meurt tous un jour ou l'autre...même si on veut tjrs laisser quelque chose derrière nous...c'est assez frustrant la façon dont l'histoire se termine...

c' est marrant Gallup: cet été moi aussi j' ai commencé l' étranger je dis commencé car je suis arrivée en milieu de deuxième partie je crois... j' ai jamais eu l' occasion de finir je me suis lancée dans d' autres livres entre temps, mais vous me donnez envie de savoir la suite

J'ai hate de connaître ton avis sur la fin... vu qu'on a quasiment le même âge en plus !

J'avais également 17 ans quand je l'ai lu ! Ca fait loin

C'est dingue çà ^^
Robert aussi peut être qui sait ...