PRESQUE RIEN
Lorsqu’on finit par ne plus distinguer In You House, une fois que son rivage s’est suffisamment éloigné de nous pour que nous ne puissions plus la voir, il semble qu’elle ne laisse rien d’autre derrière elle que les empreintes de ses pas feutrés qui, comme celles des bords de mer, sont très vite effacées. In Your House pourrait être l’exemple même d’une chanson qui « ne fait que passer ». Cependant une question se pose alors : ne fait-elle vraiment que cela ?
On a l’impression de croiser In Your House par hasard, de faire un bout de chemin avec elle et puis de la voir disparaître de la manière qu’elle était apparue, dans un calme fondu au noir la reliant au silence. Chanson de passage et même passagère tant elle véhicule un sentiment d’éphémère. On n’attendait pas cette chanson et l’on se dit qu’elle n’attend rien de nous, avançant telle un compagnon de route silencieux. In Your House ressemble tout d’abord à un cours paisible, que rien ne semble pouvoir troubler, et qui paraît inoffensif.
Pourtant, une fois cette chanson évanouie, on a l’impression vague d’avoir entendu un son faible qui ressemblerait à celui d’une plainte étouffée : In Your House avance en boucles de guitares inlassablement répétées mais entrecoupées de moments où la guitare se débat mollement avant d’être à nouveau recouverte par les rouleaux infatigables de la mélodie. D’une certaine manière, cette chanson ne fait que travailler sans cesse à son propre engloutissement.
Si cette chanson semble aller de soi, elle n’en coule pas pour autant de source et il semble difficile de savoir d’où elle vient : le chant de Robert Smith se fait neutre, absent, n’offrant pas de prise. In Your House progresse à la manières d’une roue libre : son principe moteur n’est plus qu’un lointain souvenir et ce sera donc à nous de tout inventer et de savoir saisir cette occasion, trop rare en musique, de créer nous-mêmes notre propre musique, à partir de presque rien.
In Your House ressemble à une page blanche, à une pièce vide ou bien à ces coquillages mystérieux que l’on colle à l’oreille. Elle est un appel à l’imaginaire et l’on peut y changer le cours du temps, y vivre une autre vie ou même y entendre comme des mouvements d’eaux insidieux dans lesquels il serait presque possible de se noyer.