(Je crée un topic spécial pour l'édition Deluxe afin de ne pas trop surcharger le topic "Les Remasters sur thecure.com" )On s’était dit que la réédition des disques de Cure avec, pour chacun, l’addition d’un second CD fait de démos, d’inédits et autres titres live allait permettre de dévoiler certains mystères. On pensait moins que cela allait également être l’occasion d’en créer de nouveaux. C’est par exemple sur le mystère de la transformation de Temptation Two en Let’s Go to Bed que le CD 2 de l’édition Deluxe de
Pornography s’était terminé. D’ailleurs, ce mystère-là, la sortie de
The Top Deluxe ne le lèvera pas.
Lorsqu’on cherche à comprendre comment a pu naître une musique plusieurs pistes sont possibles : la biographie, le contexte, ce que l’auteur en dit, l’étude de démos. Ou bien la recherche des « influences ». Dans le livret qui accompagne les deux CD de
The Top, Robert Smith dit à ce sujet quelque chose de très intéressant : « Pour chacun des albums que nous faisons, je rassemble un groupe de chansons qui ont un « quelque chose » de précis que j’essaie de capturer. Lorsque nous enregistrions
The Top, il y avait sur ma chaîne des morceaux comme Getting Some Fun Out Of Life de Billie Holiday, Interstellar Overdrive de Pink Floyd et Things Fall Apart de Cristina. » Nouveaux mystères.
Je ne connais pas la chanson de Cristina et je ne sais pas trop comment faire le lien entre Interstellar Overdrive et les chansons de
The Top, même si le mot « psychédélisme » vient (un peu trop) vite à l’esprit. Peut-être ce désir de continuer, d’explorer, qui permet au long instrumental du premier disque de Pink Floyd de « survivre » à une introduction que l’on croirait sortie du
Unknown Pleasures de Joy Division. Peut-être seulement.
Et puis il y a la chanson de Billie Holiday, dont la modestie positive du titre peut être mise en parallèle avec la joie qui traverse les chansons du Cure de l’après
Pornography. Il y a des vers de Getting Somme Fun Out Of Life qui peuvent également mettre la puce à l’oreille : « When we want to play, we play » ou encore : « When we want to sing, we sing ». Il se pourrait que l’on puisse trouver des traces de la douce bienveillance de ces conseils jusque dans la liberté et le plaisir avec lesquels Robert Smith chante, par exemple, sur la démo de Throw You Foot.
C’est qu’avec
The Top, Robert Smith joue enfin librement de ce qui est probablement son plus bel instrument : sa voix. « Auparavant je n’avais jamais vraiment pensé à moi comme à un chanteur », dit-il. Et s’il y a quelque chose que la version Deluxe de
The Top permet d’entendre très distinctement, c’est bien l’invention d’un chant, l’exploration d’une voix.
Et puis d’autres choses encore…
Le CD 2 de
The Top reprend les choses là où celui de
Pornography les avait laissées puisqu’il s’ouvre par deux titres inédits (bien qu’Ariel était déjà connu) enregistrés en août 1982 (Temptation Two, dernier morceau du CD bonus de
Pornography, l’avait été en juillet). Premier constat : contrairement aux inédits qui ouvraient le second disque de
Pornography version Deluxe, les inédits présents sur
The Top ne sont pas des instrumentaux, la voix sera présente à chaque fois même si, comme sur le premier d’entre eux, elle peine à s’extraire de la musique et se trouve noyée d’effets.
You Stayed…, morceau court, sans batterie mais avec une basse très présente, explore à tâtons des sonorités qui tranchent avec l’austérité de Break, morceau qui ouvrait
Pornography CD 2.
Ariel (dans une version que je ne connaissais pas), est une démo bien plus aboutie. Le morceau avance en suivant le tempo lent d’une boîte à rythmes à laquelle vient se mêler une guitare discrète. La basse feutrée, le chant doublé et les notes d’un clavier cristallin achèvent de donner à cette chanson une belle mélancolie qui me paraît proche de celle de The Drowning Man.
Un gouffre d’un an sépare Ariel du troisième inédit,
A Hand Inside My Mouth. On sait que pendant cette période le groupe n’existe presque plus (Robert part en tournée avec les Banshees, enregistre
Blue Sunshine, etc.) ne donnant signe de vie que par les publications de deux singles. Pendant cette période l’orientation musicale de Robert Smith va considérablement évoluer. Et cela s’entend sur A Man Inside My Mouth, démo enregistrée à Paris (probablement en même temps que Lovecats). On y retrouve la rythmique jazzy de Speak My Language et de Lovecats à laquelle s’ajoute un clavier aux sonorités très orientales. A noter qu’on y entend des paroles de Six Different Ways.
Il faut ensuite faire un bond de quatre mois (durant lesquels Robert est reparti en tournée avec les Banshees) pour atteindre la quatrième chanson inédite de ce CD bonus. Dans
Sadacic (d’où vient ce titre ?) on entend tout un travail sur l’ampleur (chant étiré, guitare puissante) qui annonce New Day (dont on retrouve ici quelques paroles) et surtout
Disintegration. C’est d’ailleurs pour moi l’un des deux gros anachronismes que l’on rencontre sur ce disque : Sadacic possède la ligne de basse de Prayers For Rain.
Viennent ensuite, toujours enregistrées en décembre 1983, sept démos, connues pour la plupart :
Shake Dog Shake : démo assez proche de la version finale. C’est surtout au niveau des paroles qu’il y a des changements ou des « manques ». Le plus frappant est l’absence du « Dog » du refrain-titre de la chanson.
Piggy In The Mirror : moins aboutie que celle de Shake Dog Shake (pas de claviers, de flûte ou de solo « hispanisant » à la guitare). Il n’y a pas encore cette façon de chanter, très bas dans la gorge, qui caractérisera le morceau plus tard. Cela permet d’imaginer tout le travail sur le chant qui a dû suivre. A noter que le mot « mirror » ne fait pas encore partie des paroles. Sa trouvaille sera très importante pour la chanson puisqu’elle permettra d’en « retourner » le sens.
Bird Mad Girl : démo éloignée de la version finale puisque les paroles sont complètement différentes. Elles n’en sont pas moins très abouties puisqu’il s’agit d’une libre adaptation d’un poème de Dylan Thomas intitulé Love in the Asylum. Très dépouillée, cette démo est touchante grâce au chant murmuré de Robert ainsi que par l’évocation de cette « Bird Mad Girl » qui disparaîtra dans les paroles finales.
Give Me It : encore une belle démo puisqu’elle constitue une sorte de version alternative de Give Me It. Grâce à la mise en avant de la basse et à l’effacement des stridences de la version finale, cette démo, plus brute, n’en est pas pesante pour autant. A noter que, pour cette fois, les paroles de la démo sont quasi définitives.
Throw Your Foot : comme avec Piggy In The Mirror, cette démo permet d’apprécier tout le travail sur le chant qui la sépare de la merveilleuse version finale. Il y manque encore des paroles (à la fin) et la harpe est absente mais la structure de base est déjà très bien en place.
Happy The Man : il manque la seconde voix, celle qui, exhalée, prépare ce qui sera fait sur Close To Me. Impression bizarre d’entendre malgré tout cette voix dans les sonorités, plus étouffées que sur la version finale, de la rythmique. Il manque également une bonne partie des paroles. Démo inédite jusque-là, à ma connaissance.
The Caterpillar : démo très intéressante, à l’ambiance rendue inquiétante en raison notamment d’une voix grave et des résonances d’un lourd piano (qui disparaîtra presque totalement par la suite) qui forment comme des voix omniprésentes en arrière-plan. Le trouble et l’ambiguïté, qui affleurent seulement dans la version finale, dominent cette démo.
On passe ensuite, pour deux morceaux, en février 1984, lors de l’enregistrement qui a lieu dans les studios Genetic. Il ne s’agit plus de démos mais de premiers mixages et les deux titres sont donc plus aboutis. Cependant on note encore des différences intéressantes : la petite ligne de synthé de
Dressing Up est plus en avant que sur la version finale et, surtout, un effet très déformant (et effrayant) accompagne la voix. L’impression qu’il procure est telle qu’il semble emporter toute la musique avec lui.
Enfin, et c’est pour moi le deuxième gros anachronisme du disque, j’entends sur la version de
Wailing Wall qui nous est proposée (ce n’est pas la démo que je connaissais) des effets qui renvoient directement à Bloodflowers (la chanson) et du coup les rythmiques des deux chansons me semblent également très proches.
Après les trois morceaux live enregistrés en mai à l’Hammersmith Odeon de Londres, le disque se conclut avec la version affolée du Forever du Zenith. Pour en trouver les paroles il suffit de demander à Descent (
) : http://www.impressionofsounds.com/shows/1984/840515.html
« Je peux voir maintenant que dans son ensemble
The Top préfigure
The Head On The Door » dit Smith. « Dans la mesure où il possède plusieurs facettes différentes. Mais, en raison de la façon dont il a été fait, je n’avais pas le sentiment d’être parvenu à en faire un ensemble cohérent. Cependant j’ai découvert depuis une forte, bien qu’étrange, cohérence interne… Et je peux dire maintenant que j’aime vraiment
The Top. »